mercredi 9 mai 2012


Quand la gratuité devient perversité  et le banquier vertueux

S’il est un sujet sur lequel les banques n’ont pas été attaquées c’est le respect de la confidentialité. Sur ce point les attaques dont elles ont été l’objet se situent en sens inverse, c’est le secret bancaire qui a pu être assimilé à une complicité d’évasion fiscale, etc.
On peut toujours vouloir voir chaque chose de façon manichéenne mais, pour peu que l’on accepte d’avoir un minimum d’honnêteté intellectuelle, il est souvent bon d’examiner le positif et le négatif de chaque situation.

Et clairement ce qui apparaît c’est que ce rôle de gardien du temple de la confidentialité, de protecteur de l’intimité  est trop peu mis en avant par le monde bancaire  alors qu’il constitue un de ses atouts majeurs d'une valeur exceptionnelle car sur ce sujet le contraste avec la plupart des autres acteurs du Net est assez édifiant.

Dans l’impressionnant article « What they know » le Wall Street Journal proposait une infographie interactive permettant de dévoiler le tracking potentiel selon le site visité.
La seule banque y figurant était « Bank of America », et elle était citée parmi les acteurs les moins intrusifs. En regardant le détail de cette intrusion on pouvait par ailleurs observer qu’il ne s’agissait que de cookies à usage interne permettant d’améliorer la navigation ultérieure, mais toujours pour des utilisations internes (dites « first parties ») et aucun usage externes (« third parties »)

Les marketeux de tous poils sont friands de données permettant de réaliser un « One to One » chirurgical et personne ne douterait de la colossale valeur commerciale des données connues des seuls banquiers de dépôt.
C’est ainsi que si les fils de pub peuvent aujourd’hui acheter des liens, des fichiers, des traces de nos visites presque partout sur le web, ils n’ont pas et n’auront sans doute jamais accès aux informations bancaires. Les sites bancaires sont devenus les seuls lieux sur le web où le secret et l’intimité individuelle soient aussi bien protégés.

Cette garantie de protection des données individuelles  a également une valeur auto-protectrice considérable pour les banques.

A une époque où les banques sont décriées, accusées de tous les maux et livrées au lynchage politico-médiatique,
A l’heure où elles sont ballotées financièrement contre le crépis des marchés qu’elles contrôlent moins que les super calculateurs, qui tels HAL de 2001 Odyssée de l’espace, ont pris une partie de leur pouvoir et l'ont retourné contre elles,
Au moment même où les Etats, socles de chaque système bancaire national, ploient sous le poids de leur dette publique (qu’ils leur on donné la charge de distribuer),
Les banques redoutent commercialement de voir émerger un concurrent alternatif, agile, hyper-techno,  tel par exemple Google, Facebook ou un Opérateur télecom .

Parmi le grand public et les médias certains pensent encore aujourd’hui qu’il pourrait même s’agir d’une opportunité pour « échapper au diktat des banques», pour payer moins chers les frais bancaires ou - plus naïvement encore- que cela pourrait faire baisser le taux de leurs crédits.
Mais se sont-ils au moins demandé qui, mieux que les banques, pourrait  garantir le respect de leur vie privée ?
Seraient-ils prêts à confier le secret de toutes leurs dépenses, de leurs revenus et de leur épargne,crédits, assurances,.. à des acteurs, certes moins chers, mais peu soucieux de leur intimité ?

Certes, ce souci de protection de la vie privée sur internet varie beaucoup selon les individus mais une chose est sûre : nous sommes tous exposés au tracking dès que nous manions une tablette ou une souris sur le web, les moteurs de recherche et les browsers ont non seulement la capacité de dévoiler nos préoccupations ou nos recherches les plus intimes mais également la possibilité d’en vendre ou les sous-louer à des fins commerciales.

Cela n’est pas du à une pulsion voyeuriste ou délatrice de leur part mais tout simplement à l’écosystème lui-même : lorsque la gratuité légale est non seulement légitimée par les consommateurs mais qu’elle est érigée en modèle économique, les conditions d’intrusion dans la vie privées sont remplies.

Se demander si un tel modèle est acceptable durablement, s’il ne faudrait pas réglementer de façon plus contraignante ces usages sont des questions naturelles …mais, et c’est plus plus inquiétant, on peut aussi se demander si on peut véritablement éviter ces dérives.

Le parfum opiacé de la gratuité aurait-il généré une « attitude faust-moderne »

Faut-il rappeler que ce n’est pas parce qu’un service est gratuit qu’il n’a pas de coûts pour autant ?
Face à des charges qui demeurent donc, et une hyper concurrence du web qui tend à réduire structurellement les marges des acteurs, le produit magique est devenu le financement de ces charges par la pub sous toutes ses formes, de plus en plus sophistiquées.
La valorisation de Facebook n’est-elle pas principalement celle de son socialgraph qui trace aujourd’hui 10% des habitants de la planète?

Avec son parfum opiacé, la gratuité des services est donc devenue structurellement une source insidieuse d’intrusion dans l’intimité. Si ce modèle est plébiscité il n’en est pas moins pervers.
Lorsque le péage d’accès aux services est levé, on sait qu’en contrepartie  c’est le client qui deviendra le produit à vendre, consciemment ou pas il devient victime consentante de son propre espionnage.
Par cette attitude « faust-moderne » l’internaute vend  -souvent sans le savoir-  son âme aux « trackers » diaboliques…. et il n’en connait pas le prix véritable, car comment évaluer le prix de ce que l’on ne paie pas.
Et puis quel est le prix de notre intimité ? Difficile à dire, en revanche on peut être certain que cela a beaucoup de valeur, non seulement une valeur actuelle mais également une valeur future.

On pourrait penser que l’alternative gratuit avec pub ou payant sans pub telle qu’elle existe dans certains modèles économiques - type Applestore, ou sur certains modèles de distribution ( shareware dévoyé) –  pourrait règler le problème : c’est une illusion d’optique.
En effet, ce que l’on paye pour l’usage de l’application sans pub c’est le fait de ne pas être exposé visuellement et visiblement à la pub mais cela ne prémunit absolument pas de l’exploitation sous-terraine des données collectées. Dans ces conditions le prix ne reflète toujours pas ce qu’il devrait être, à savoir un coût de revient plus une marge.

Lorsque l’écosystème admet l’exploitation publicitaire, quelle qu’en soit la forme, des données collectées sur les réseaux à l’insu des internautes il devient presque structurellement une menace pour la vie privée.

Le système bancaire, si décrié pour ses agissements réputés systématiquement suspects, ou contraires à toute éthique ou la morale,  devrait par une sorte d’homothétie de la suspicion et donc de la culpabilité être en première ligne.
Et bien non, au contraire,
dans le domaine du respect de la vie privée, il fait partie des acteurs les plus vertueux et les plus sûrs du net.
C’est déjà pas mal…