Une nouvelle question
de transfert d’identité ouverte du fait des médias sociaux ?
La quête de l’identité présente cette contradiction apparente
d’être tout autant la recherche d’un positionnement purement personnel, par rapport
à soi (qui suis-je ? quelle est mon histoire, ma singularité, quelles sont
mes caractéristiques propres ?) que la recherche de l’appartenance à un
groupe plus large et le plus souvent
fermé. On assiste donc à une double tendance sociologique simultanée celle de l’individuation
et celle de la grégarité.
Peu importe qu’il s’agisse de moutons qui se pensent tous
différents ou de vers solitaires qui ne sortent qu’en groupe, Facebook permet à chacun d’afficher face
à tous sa supposée différence et de nous montrer que, souvent, ceux qui se croient
uniques agissent comme s'ils étaient tous les mêmes.
Mais le sujet n’est
pas là, commençons par une anecdote (vécue).
Un petit matin, alors que j’étais hospitalisé, à l’heure
convenue pour l’opération on m’a conduit dans un espace visiblement dédié à l’aiguillage
vers différentes salles d’opération. J’y ai attendu quelques minutes avec d’autres patients
également dans leur lit et eux même dans l’attente qu’on vienne les chercher. Lorsque
le brancardier est venu me chercher, je n’étais heureusement pas encore
inconscient lorsqu’il me demanda : « M.
Patrick Vaillant ? On y va ! » et il
commença à pousser mon lit…. « Euh non, moi c’est « Fabrice Vaillant ».
Il devint soudain confus, puis se dirigea vers un autre lit
où mon homonyme dormait déjà et l’amena
dans « l’autre bloc ». Je n’ai pas demandé ce qu’on devait amputer ou retirer à
« l’autre gars », mais je pense que mon opération se serait moins bien
passée si le bonhomme en question avait eu le même prénom que moi.
Une des choses qui caractérise depuis notre enfance notre
singularité c’est le couple [ Prénom d’usage + Nom].
Beaucoup d’entre nous qui portons un nom relativement peu commun n’avons
jamais avant Facebook expérimentés la confrontation visuelle avec nos clones
onomastiques.
Beaucoup de ces gens qui portent le même nom et prénom que nous-mêmes
sont désormais là, sous nos yeux, tous membres comme nous de la grande famille
des facebookers, plus jeunes ou plus vieux, d’allure plus ou moins semblable,
force est de constater qu’ils sont autres, et bien différents de nous.
Face à nous-même mais aussi face à la réglementation, ce qui
attestait, en première lecture (sans aller jusqu’à la date et le lieu de naissance)
qui nous étions c’était avant tout notre
nom ET notre prénom.
Nous pouvons
mesurer que ce qui avait fondé jusque-là une bonne partie de notre identité civile
a désormais bien moins de pertinence pour identifier un individu unique.
Considérant que les réseaux sociaux permettent aujourd’hui
très facilement d’opérer la mise en relation de parfaits homonymes, nous nous
retrouvons avec des possibilités nouvelles de confusion organisée qui peuvent
aller de la facétie la plus potache à de l’escroquerie organisée.
Les institutions qui agrègent un grand nombre de données
individuelles sont bien sûr depuis longtemps confrontées à ces cas de figure,
qu’il s’agisse par exemple de la Banque de France qui utilise dans son fichier
d’interdiction bancaire le triplé [Prenom/Nom/ date de naissance] ou le fichier
Ficoba géré par la Direction Générale des Impôts (et qui intègre nombre de confusions
dues à des imprécisions de déclaration par exemple). Le numéro INSEE nous
identifie plus précisément à un point tel que la CNIL a fortement
restreint ses possibilités d’utilisation puisque son usage automatisé ne peut
être autorisé qu'après décret en Conseil d'État. Enfin, les empreintes digitales,
le rapprochement visuel avec des photos en fichier,…, semblent réservées aux
investigations de police ou douanes ainsi que le recours à toutes les
techniques qui sont apparues durant les dernières décennies (ADN, …)
Disons que tout cela semble fonctionner à peu près bien lorsque
l’institution se retrouve face à des individus isolés, mais la question posée aujourd’hui
a changé de nature : des individus physiquement isolés peuvent sortir grâce aux médias
sociaux de leur isolement, ils peuvent se reconnaître, se
contacter, se regrouper, se trier, se fédérer, s’organiser … afin d'imaginer ou développer
un nouvel usage de leur propre identité.
Il ne s’agit pas d’usurpation d’identité stricto sensu.
En effet, les histoires d’usurpation d’identité dont les
médias se font l’écho concernent des actes de malveillance ou de malhonnêteté caractérisées
par un schéma souvent identique et qui débute par la récupération de l’identité à l’insu d’une
personne et d’un usage au profit de l’usurpateur.
Ici, il ne s’agit pas véritablement d’usurpation d’identité puisque
l’identité reste la bonne ce sont
les droits attachés à ce qui définit l’identité qui peuvent être transférés sans
véritable usurpation d’identité. On peut même penser qu’une telle pratique existe
peut-être déjà à notre insu tant elle
est facile à imaginer et à mettre en place.
Si je prends mon exemple il doit y avoir entre 20 et 100
personnes qui s’appellent comme moi, ces gens que je ne connais pas (pas encore)
ont sans doute une pièce d’identité avec leur photo qui permet d’attester qu’ils
s’appellent bien …comme moi.
S’ils se présentent à ma place pour aller chercher un
recommandé avec accusé de réception, pour retirer de l’argent en express, un
mandat au guichet de la Poste, s’ils veulent retirer des billets d’avions que j’ai
commandés, s’ils veulent parler à ma place dans les médias, ils pourront le
faire sans mentir sur leur nom et prénom et, la plupart du temps on ne contrôlera
pas leur date de naissance ni leur adresse et la simple vue de leur nom et prénom sur la pièce d’identité suffira
pour leur attribuer mes droits…et à moi les leurs.
Face à cette possibilité évidente et aisée d’organisation de
la confusion identitaire grâce à la mise en réseau d’individus hier encore dispersés
- mais aujourd’hui regroupables- une réflexion me paraît s’imposer et quelques
pistes s’esquisser allant dans le sens d’un besoin de nouveaux moyens d’identification.
Aujourd’hui mon numéro de téléphone
mobile et son code pin ou mon adresse mail et son mot de passe m’identifient sans
doute bien mieux que mon nom et prénom sur ma pièce d’identité que l’on se
borne à me demander la plupart du temps. Un simple envoi d’un SMS à mon numéro
de téléphone permettrait instantanément de contrôler qu’il s’agit bien de moi,
pourtant la réglementation bancaire les rend encore facultatifs .
Faisons confiance à la CNIL, ange gardien de notre liberté
face à l’usage de notre identité, pour y reconnaître les siens.
Je laisse ouvertes ces questions d’apparence anodines en
ayant conscience qu’elles dérivent vite sur des sujets plus délicats, en
revanche, je trouve la partie ludique que j’ai évoquée assez tentante.
Je vais aller créer un groupe sur Facebook, réservé aux gens
s’appelant exactement comme moi et nous allons y réfléchir ensemble.
On pourra commencer par se géolocaliser pour voir où chacun
de nous peut être simultanément…
Bonjour chez vous
@FV41LL4NT
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