mardi 27 mars 2012

Le Financement Participatif en France, remake de la grande illusion?


Réflexions débridées d’un « vrai banquier coopératif » à la suite de la réunion au Palais Brongniart « Les acteurs de la finance participative interpellent les candidats à la Présidentielle » le 27 / 03 /2012


La plupart des témoins se sont succédés sur scène pour souligner à juste titre les nombreuses entraves réglementaires en France  au développement de la FP (Finance Participative) et demander leur adaptation.

Malgré mon a priori favorable à l’émergence d’une véritable alternative je n’ai entendu que peu de raisonnements incontestables de bout en bout. Non pas que tout ce qui a été dit était faux, loin de là, mais  la plupart des constats de dysfonctionnements dressés, bien souvent exacts , trouvent en fait leurs causes-sources ailleurs que ce qui était suggéré.

Je passe sur les clichés communs dénigrant les banques si ce n’est pour souligner qu’ ils furent bien moins nombreux que ce à quoi je m’attendais, ce que je vois comme un signe de maturité ou alors s’agirait-il d’une insensibilité croissante de ma part à ce sujet qui ferait qu’ils m’auraient échappés ?  
Mais il reste toujours un fond de cuve de suspicion avec de vrais morceaux de complot dedans sur une éventuelle collusion du régulateur avec les banquiers dont il est serait le chien de garde défendant âprement l’accès à des financements juteux .

  1. C’est ainsi qu’ il est amusant de constater que la plupart des règlements qui entravent le déploiement de certaines pratiques (levées de fonds, contrôle d’identité, etc.) sont perçus comme n’étant  qu’une barrière à l’entrée pour de nouveaux acteurs et protégeant ainsi un système bancaire à bout de souffle qui ne pourrait sinon rivaliser avec eux….alors que les principales motivations des régulateurs sont avant tout  ailleurs :protéger les victimes potentielles pouvant être abusées par les établissements financiers traditionnels ou d’usuriers peu scrupuleux ou des escrocs. De plus c’est oublier qu’en France le consommateur est tout autant protégé « contre lui-même » que contre les opérateurs.

Ces startup se croiraient elles à jamais à l’abri de tout reproche de ce côté-là à moins qu’elles ne soient  sûres-  étant ontologiquement vertueuses- de ne jamais faire courir aucun risque au public … ou tout simplement ne se soucient-elles pas de ce sujet …?

2. En début de séance il a été également savoureux d’entendre une argumentation s’appuyant la disproportion entre les 40M€ levés par les business angels et les 32Mds € dépensés par les français chaque année dans les jeux de hasard…pour s’étonner de l’hyper protection de l’investisseur –capital risqueur - face à l’exposition totale au risque du joueur tolérée hypocritement par un Etat qui en est le principal bénéficiare.
Certes c’est vrai …mais est-ce pour autant un argument valable que de désavouer une protection (imparfaite) par la mise en lumière de dangers plus grands mais peut-être mieux assumés….Et puis n’est-ce pas oublier la vraie cause de cette dissymétrie? : L’espérance d’un gain très important est capable de faire rêver ou fantasmer au point d’accepter l’idée de la perte de la mise toute entière … A côté de cela l’espoir d’un rendement financier classique devient ridicule au regard des multiples potentiels de la roulette du casinos, du pmu ou autres gadgets gratables ou tirables de la FdJ.

3. Un grand sous-jacent du raisonnement de la FP est que les banquiers se feraient des niveaux de marge crédit tellement élevés (et donc implicitement et forcément indus)  que des startups pourraient grâce à leur structure légère et leur éthique sans faille faire facilement beaucoup mieux.

Ce n’est hélas pas exact : sans en développer la démonstration, il suffit d’admettre que le taux des crédits et les frais de dossier doivent au moins payer le coût de la ressource (le prêteur), les risques (les créances irrécouvrables), les frais de gestion et de distribution pour dégager une marge ; Or les produits font depuis plus de 10 ans l’objet d’une concurrence telle (via les courtiers, les comparateurs de taux,etc.) aujourd’hui qu’il est presque toujours possible pour un dossier réputé sans risque de trouver une banque qui renoncera à la totalité de sa marge théorique avec l’espoir de gagner un client de plus et un PNB (hors crédit) compensateur de l’activité crédit. Comment dans ces conditions pourrait-on être rentablement un pure player crédit  qui ne pourrait pas reconstituer une marge quasi nulle sur d’autres activités connexes tout en  ne bénéficiant pas d’une large base d’absorption de ses coûts fixes?

4. Enfin l’argument qui paraît tuer est hélas tout aussi friable : il s’agit de l’examen des courbes de croissance de l’activité de certains acteurs de la FP à l’étranger (aux USA principalement), qui semblent rendre évident que « ça va arriver chez nous un jour ou l’autre». Cela constituerait aussi une autre preuve de l’impact négatif de la réglementation française sur la FP tout autant qu’une nouvelle illustration de la menace qui pèse sur le système bancaire traditionnel que le régulateur cherche à sauver …

Une fois de plus cette argument malgré sa séduction immédiate est un trompe l’œil : le marché français du crédit comme cela a été écrit plus haut est intrinsèquement beaucoup moins rentable que dans les pays anglo saxons, pourquoi sinon malgré l’ouverture des frontières financières de l’UE aucun acteur virtuel ou réel n’est-il encore parvenu à se tailler une part significative sur le marché français du crédit.
Certes la plupart des banquiers français ont tellement peu d’imagination qu’ils s’appuient principalement sur la bonne vieille évaluation de la capacité de remboursement de l’emprunteur. Certes c’est ringard mais voilà, c’est vertueux, comme par ailleurs les taux usuraires sont proscrits la prise de risque possible est limitée et il refusera donc de  prêter à un taux pas assez élevé à des clientèles peu solvables ( sinon c’est le mécanisme des subprimes, on a vu le dégât que cela a causé outre atlantique). De même la  valorisation croissante de la garantie hypothécaire (l’actif serait sensé s’apprécier a vitam aeternam et donc offrir une garantie supérieure au montant initialement emprunté) n’est pas un critère d’accord d’un banquier français classique.
Bref notre banquier français préfère simplement être remboursé par l’emprunteur plutôt que par la revente du bien emprunté, l’aléa de la pérennité du revenu sur la durée étant déjà suffisant pour titiller sa frilosité légendaire en générant des créances douteuses et litigieuses qui viendra entailler encore plus sa marge.

Enfin, les français ont en moyenne 2 ou 3 fois plus de produits dans leurs banques que les clients anglo saxons dans leur établissement, l’activité du crédit au Royaume-Uni par ex. doit donc être impérativement rentable en soi car elle est moins compensée par d’autres activités qui sont confiées à  des concurrents.
Ainsi dans les conditions anglo-saxonnes, non seulement moins réglementés mais surtout plus rentables et où le public vit largement à crédit sur des lignes revolving de cartes ,  il est évident que la FP peut se frayer un chemin et se trouver une place de choix.

Mais que reste-t-il alors à la FP pour réussir dans un système bancaire français saturé, à marge dignes de produits d’appels et où le consommateur est hyper protégé (sachant que l’évolution de la réglementation ne paraît pas aller vers la dé-protection) ?

a) Tout ou presque paraît possible sur les activités sans but lucratif pour le prêteur (souvent dénommé l’investisseur) ou/et lorsque l’espérance d’utilité, de solidarité ,…à l’emprunteur apparaît comme une motivation supérieure à l’espérance du gain strictement financier.
Dans ces cas  le crowd-founding a un potentiel de développement extraordinaire : il opère dans une catégorie qui n’est pas le terrain de jeu de l’activité de crédit habituelle des banquiers et un domaine où la lourdeur des groupes financiers cesse d’être un atout de stabilisation pour s’avérer être un handicap d’agilité.
Mais même dans ce domaine les acteurs de la FP dans le domaine de la solidarité doivent rester cohérents cela n’est pas sans risque pour eux que de vouloir demain valoriser l’expansion de leur activité : en effet on peut se demander si le gain des créateurs de ces sociétés ne sera pas a priori suspecté  d’illégitimité s’il ne se situe pas– au moins pour une part significative – dans le même univers, solidaire et guidé par une vocation humaniste, que son « client ». Le public pourrait-il admettre une imposante plus value capitalistique  causée par le succès d’une chaine de solidarité ? mais c’est un autre sujet

b)Les expériences décalant la problématique du remboursement du crédit et de l’intérêt (au sens étymologique) du prêteur sont très intéressantes également. La participation à un projet, pour en devenir co-producteur et s’en sentir co-réalisateur  est une forme moderne de souscription qui permet de sortir de la problématique financière pour adresser d’autres motivations que de gagner de l’argent... Les possibilités apparaissent infinies.

Dans ces 2 cas c’est donc la formation d’une nouvelle espérance de gain faite d’une valeur nouvelle, non financière et bien plus personnelle voire intime qui offre une contrepartie valable, symbolique ou bien réelle à l’investissement.

Mais pour les activités de prêt traditionnel tout financement participatif serait-il  voué à l’échec?

Non, bien au contraire, car tout d’abord le financement participatif existe depuis des siècles et depuis la fin du 19ème siècle il a été développé avec succès par les banques mutualistes.
Une étude du système coopératif développé par le Crédit Agricole révèlera ainsi de très nombreux points de similitudes avec le crowdfunding actuel : la seule différence majeure résidant dans la « dé territorialisation » permise par les réseaux virtuels aujourd’hui car si la solidarité et la responsabilité sont bien des piliers communs au mutualisme et au crowfunding , la notion de proximité se situe aujourd’hui moins dans l’espace que dans le système de valeurs.

Cependant pour les nouveaux entrants les contraintes de l’exercice légal de l’activité de banque sont très lourdes et supposent des charges de structures qui paraissent disproportionnées avec ce qu’ils peuvent raisonnablement bâtir.

C’est pourquoi ce sont les activités s’apparentant au courtage la place qui semblent réserver l’avenir le plus prometteur à leurs concepteurs…mais plus en partenariat avec des banquiers traditionnels qu’en concurrence frontale avec eux:

Grâce à l’acuité de leurs regards différents portés sur une société contemporaine dont le pouls bat au même rythme qu’eux les acteurs de la FP ont sans doute la capacité de détecter et voir ce que les mammouths de la finance écartent peut-être trop systématiquement ou rapidement de leur territoire, qu’il s’agisse de micro financements  (arrivent-ils même à les voir) .ou d’activités si peu connues d’eux qu’ils ne parviennent pas à en sentir l’intérêt.
Par ailleurs, la très large adhésion qu’ils ont la possibilité de créer et de fédérer via des réseaux sociaux généralistes ou spécialisés leur permettent potentiellement d’apporter des contacts nouveaux voire des clientèles nouvelles aux acteurs traditionnels -ou à d’autres intervenants - et ainsi procurer une profitabilité connexe et additionnelle qui permettrait des contrepartie réelles pouvant se traduire en possibilité de prises de risques financiers supérieurs (qu’il s’agisse de l’acceptation des projets ou des conditions pratiquées) sur les projets des emprunteurs.
Enfin l’application des règles de conformité, la lourdeur des applicatifs et de leur maintenance ainsi que le poids des traitements administratif  obligés sont dans le quotidien du métier bancaire et il est donc plus intéressant pour une startup du FP de s’associer à un établissement existant qui détient ce savoir-faire que de tenter de recréer par elle-même toutes les conditions nécessaires à  l’exercice de la banque.

Bien sûr il ne s’agit ici de ne dissuader personne de tenter sa chance mais le véritable défi me paraît davantage résider dans l’intégration vertueuse - ni absorption ni  ingestion - d’une génération spontanée , dans un écosystème financier aux réflexes naturellement prédateurs.
L’équité des modèles économiques et la cohérence des différents systèmes de valeurs pour tous les acteurs, anciens et modernes, seront sans doute les facteurs déterminants de leur succès futur.

Le partenariat de Friendsclear, startup  pionnière en France du financement participatif,  avec le Crédit Agricole Mutuel Pyrénées Gascogne s’inscrit dans cette vision de complémentarité. En s’adossant aux valeurs coopératives éprouvées d’une banque leader sur son territoire qui entend être utile à son développement et à ses habitants, la jeune pousse paraît bien armée pour aborder des horizons nouveaux où tout ou presque reste encore à découvrir.